OUVRAGE : Iwona Buczkowska : l'architecte face à la pérennité de son œuvre

Rédigé par Sarah ADOR
Publié le 23/06/2020

En 1973, alors que les universités polonaises préparaient les architectes à des carrières d’exécutants au service d’un urbanisme d’État alors sous hégémonie soviétique, la jeune Iwona Buczkowska pu bénéficier de la possibilité de terminer ses études d’architecture en France. Cette opportunité, à une époque où plusieurs communes de banlieues françaises, portant des politiques socialistes voire communistes, s’ouvraient à l’expérimentation architecturale en donnant carte blanche à de jeunes architectes, lui permit de réaliser d’audacieux projets de logements et d’équipements précocement construits en bois. 

Près de 45 ans plus tard, Hanna Skapska, également polonaise, est venue elle aussi terminer ses études d’architecture en France, et s’est intéressée au parcours et à l’œuvre de sa compatriote, peu étudiée et documentée. Déjà curieuse des problématiques de préservation du patrimoine contemporain dans sa ville d’origine, Wrocław, où le sujet est en débat, Hanna Skapska s’est passionnée dès 2017 pour l’histoire de deux bâtiments d’Iwona Buczkowska qui, malgré leur intérêt patrimonial en termes d’expérimentation spatiale, formelle et structurelle, sont menacés de démolition. Après s’être consacrée à ce sujet dans le cadre d’un séminaire à l’école d’architecture de Paris Belleville puis dans son mémoire mention recherche défendu en 2019, Hanna Skapska a reçu la bénédiction d’Iwona Buczkowska et de Jean-Pierre Lefebvre, maître d'ouvrage de plusieurs de ses projets, à publier son étude chez l’Harmattan. L’ouvrage prend ainsi place dans la continuité de plusieurs écrits de Jean-Pierre Lefebvre, publiés chez le même éditeur.

De ses deux cas d’étude, la Cité de la Pièce Pointue au Blanc-Mesnil (93) et le collège Pierre Sémard de Bobigny (93), Hanna Skapska tire une réflexion sur le statut de l’œuvre architecturale, à l’aune des différentes reconnaissances et dispositifs de protection du patrimoine récent, démontrant à quel point les architectes sont impuissants face aux argumentaires de « l’intérêt général », notion dont la définition se révèle d’une certaine versatilité au fil des mandatures. Lui aussi concerné il y a quelques années, Paul Chemetov s’était tout autant indigné de cette politique du tabula rasa, qui croyant servir la résorption des problématiques sociales, efface surtout les traces d’alternatives et d’expérimentations architecturales et urbaines, d’un patrimoine qui aurait tant de choses à transmettre en termes d’imaginaire, de liberté formelle, de qualités spatiales, et dont la destruction ne fait que perpétuer l’uniformisation urbaine. Fruits de longues recherches sur l’arc et l’oblique, les bâtiments d’Iwona Buczkowska incarnent audace et générosité à une époque où l’on rationnalise et standardise les formes et les espaces dans la grande majorité des programmes de logements et d‘équipements, souvent sous couvert de réglementation thermique et incendie, quand il ne s’agit pas simplement de rentabilité économique.

Si l’on convoque aujourd’hui l’argument de l’efficacité thermique (et donc de la consommation énergétique) pour souligner la vétusté de ces bâtiments, les défenseurs de ce patrimoine original ne peuvent que s’étonner du non-sens qu’il y a à vouloir détruire un bâtiment qui fut construit en bois bien avant l’heure où l’on cherche désormais à généraliser ce système constructif pour atteindre des objectifs de sobriété énergétique. À une époque où ce matériau renvoyait aux cités de refuge, aux « baraques pendant la guerre » ou aux chalets de montagne, mais n’était « jamais destiné aux zones urbaines », Iwona Buczkowska fut en effet avant-gardiste dans son usage audacieux du bois, en structure et en bardage, sur de très vastes opérations. Tel qu’Hanna Skapska le retranscrit, elle justifiait non seulement l’usage du matériau « par l’attention portée à l’élégance et les proportions », mais aussi par « la volonté d’une structure légère », convaincue que « le bois, avec sa richesse l’expression, [évoquerait] en même temps l’ambiance chaleureuse et douillette des vieux pavillons banlieusards ». Avisée, l’architecte ne méconnaissait pas la nécessité d’entretenir ce matériau pour qu’il conserve une apparence esthétique, mais cela supposait le partage d’une philosophie du soin, du ménagement à l’égard des lieux, des bâtiments, qui ne fut malheureusement pas celle des gestionnaires. Il en fut malheureusement de même avec plusieurs projets de cette mouvance dont Buczkowska est une des héritières, et dont Hanna Skapska (et Jean-Pierre Lefebvre dans sa préface) rappellent brièvement l’histoire : ce courant architectural qu’on a souvent négligemment nommé « proliférant », principalement développé par Team 10, Jean Renaudie, Renée Gailhoustet, ou encore Moshe Safdie, qui préféraient les tissus urbains complexes aux principes rationalistes de la Charte d’Athènes. À l’heure où ce patrimoine inventif est menacé de démolition, avec ce livre, Hanna Skapska réactive non seulement une attention à l’égard des propositions de ce mouvement, mais aussi une réflexion de fond sur la manière dont nous traitons notre héritage architectural et tout ce qu’il comporte de positionnement théorique, de parti pris social, philosophique et politique.

Hanna Skapska, éditions l’Harmattan, 13,5 x 21,5 cm, 224 p., 10 janvier 2020, 22,50€.

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