L'entretien - N°120

Les théâtres, en bois
Si l’usage du bois dans la construction des lieux de spectacle paraît aujourd’hui audacieux, en réalité, le matériau a eu une place de choix dans l’histoire de l'architecture théâtrale, qui le place même au rang de ressource originelle pour ce type de programmes. Brève histoire en trois actes.
Avant d'être construits en pierre, à partir du règne de Pompée (-50 av. J-C), les premiers théâtres antiques étaient construits en bois pour être démontables, car la construction de théâtres permanents était proscrite, le Sénat voulant empêcher que le peuple se délecte d’oisiveté et se détourne de ses devoirs religieux et civiques. Bien plus tard, les londoniens du seizième siècle ont été des bâtisseurs de théâtres prolifiques, mettant à l’honneur le bois dans des constructions circulaires, prénommées théâtres élisabéthains, où les pièces de Shakespeare étaient jouées à ciel ouvert, dans une ambiance festive et décadente auprès d’une foule populaire. Au XVIIIe siècle, c’est dans un contexte plus élitiste que le bois est encore une fois redécouvert. À la recherche de la forme parfaite et de l’acoustique idéale, les architectes français et italiens rivalisent d’innovations. Victor Louis, architecte du Grand Théâtre de Bordeaux (1), obtient une acoustique exceptionnelle en décidant de recourir à ce que les spécialistes nomment une “carcasse en bois” : “L’architecte [...] a poussé l’ingénieuse prévoyance jusqu’à composer toute la carcasse intérieure de la salle en pièces rapportées de bois très sec” (2), raconte Bernard Fonquernie, Architecte en Chef des Monuments Historiques. L’idée était de créer “un vaste instrument si savamment combiné et si favorable à la voix que le plus faible organe se fait entendre dans tous les parties du vaisseau sans écho comme sans confusion.” (3), explique quant à lui Christian Taillard, historien d’art. Le plan était circulaire et constitué de surfaces réfléchissantes qui permettaient de moduler l’onde sonore. La périphérie de la salle était constituée de pans de bois composés de “poteaux et décharges croisées formant un solide treillage dont le parement était constitué de planches en bois” (4) affirme Bernard Fonquernie, ce qui permettait une isolation acoustique entre les corridors et la salle. Une structure rayonnante était utilisée pour soutenir les balcons, au moyen de longues poutres en porte-à-faux, encastrées dans le mur d’enveloppe extérieur. La coupole, quant à elle, était “supportée en périphérie par quatre grandes poutres en treillis de bois reposant sur les quatre appuis situés aux angles formés par le carré circonscrit au plan circulaire de la coupole. [...] Un vide la séparait du plancher du comble pour créer une caisse de résonance.” (5) Si, à cette époque, le bois était considéré comme le matériau le plus approprié aux exigences acoustiques des salles dédiées à la musique, les incendies dans lesquels il fut mis en cause lui firent perdre sa prééminence pendant de longues années, jusqu’à sa réintroduction plutôt récente parmi les grands équipements culturels.

(1) Désormais devenu l’Opéra National de Bordeaux, après maintes transformations au fil du temps.
(2) FONQUERNIE Bernard. 1995. L'utilisation du bois pour l'acoustique des salles de spectacles durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. In "Le bois dans l'architecture : actes / des colloques de la Direction du patrimoine n°14. Palais des Congrès de Rouen, 25-27/11/1993", p. 301-305. Paris : Ministère de la culture et de la francophonie, Direction du patrimoine. 5p.
(3) TAILLARD Christian. 1993 (réimpr. 2001). Le Grand Théâtre de Bordeaux : Miroir d'une société. Paris. CNRS Éditions, coll. « Patrimoine au présent ». 127 p.
(4) FONQUERNIE Bernard. op.cit
(5) FONQUERNIE Bernard. op.cit

© Conjectural reconstruction of the Globe theatre by C. Walter Hodges based on archeological and documentary evidence / 1958 / Folger Shakespeare Library

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