HOMMAGE ROBERT LOURDIN, HEUREUX COMPAGNON

Rédigé par ERIC RICHARD
Publié le 12/06/2023

Article paru dans Séquences Bois n°140

Le 19 mars dernier, Robert Lourdin s’en est allé, avec ses 87 printemps au compteur d’une vie d’ingénieur intense. Un constructeur au sens noble du terme, notamment l’un des pionniers du BLC en France, et qui a beaucoup apporté à la filière bois, à qui nous avons voulu rendre hommage. Membre du comité de rédaction de Séquences Bois, jusqu’à ce que sa santé ne le lui permette plus, il lui a apporté, dés le numéro 1 de septembre 1994, son regard critique et sa grande expertise de la construction bois pour nous aider à faire les choix de projets les plus pertinents sur le plan technique et constructif...

Architecte, c’est comme ingénieur ? Bon, moi c’est architecte que je voulais être. D’ailleurs je n’avais pas imaginé être ingénieur. La question m’avait laissé sans voix. Et puis j’ai rencontré Robert Lourdin.

C’était vers la fin des années soixante-dix. Il enseignait la résistance des matériaux à l’Ecole d’Architecture de Nanterre. La RDM qu’on disait. Il aurait pu nous assommer de son savoir à coup de crémona, de diagrammes de forces et d’équations savantes qu’il savait résoudre à coup d’intégrales auxquelles nous n’aurions de toutes façons jamais rien compris. A nous dégoûter à tout jamais des sciences de la matière. Mais Robert Lourdin comprenait notre ignorance. Il n’avait pas son pareil pour transformer notre méfiance vis-à-vis des choses dont nous doutions de la nécessité, en une sorte d’intuition critique de nature à interroger nos propres certitudes. Quelques mots simples, une ou deux observations pleines de bons sens, suffisaient à nous faire comprendre la faiblesse de nos expérimentations : « et là si j’appuie ? » « ben, ça casse ! »


Ramener un problème complexe à des questions simples est un talent. Robert Lourdin le possédait. Ecouter ses remarques, parfois un peu moqueuses, sur le travail que nous lui présentions, permettait des comprendre les enjeux d’une résolution structurelle,  toujours tendue vers l’épure.


Cartésien Robert Lourdin était. Il n’aimait rien tant qu’à accrocher les wagons dans le bon ordre. Mais pour lui l’architecte sur sa locomotive ne commandait pas à l’ingénieur assis sur le tender, le charbon qui viendrait alimenter la chaudière. Non, chacun était à la manœuvre dans un effort conjoint. Pas d’idée spatiale sans réfléchir la structure qui en est l’essence. L’esthétique constructive d’un édifice le passionnait. 


Forts de son enseignement bienveillant (oh combien !), nous pouvions, sereins, aller réparer la cabane au fond du jardin ou pourquoi pas envisager de construire des ponts.


La matière était son domaine. Et plus particulièrement le bois dont il sut, au fil du temps, être le compagnon et un de ses interprètes majeurs. Au début des années 50, il suit un parcours logique de bon ouvrier ; l’apprentissage puis l’exercice de l’excellence au sein de l’Ecole Boule. On y apprend, aujourd’hui encore, l’amour des choses biens faites. De là à imaginer un bâtiment comme on conçoit un beau meuble, il n’y avait qu’un pas. 


Jean Prouvé affirmait : « les immeubles, c’est des boîtes. Apprenons donc à faire de belles boîtes ! ».


C’est justement au Conservatoire des Arts et Métiers que Robert Lourdin fut son premier élève. On comprend que ça puisse marquer. Avec lui, il a appris la manipulation de la matière (la tôle qu’on raidit par pliage ou par emboutissage) ainsi que la complémentarité des matériaux entres eux. Et plus encore l’Economie de Moyen au service d’effet parfois spectaculaires. Un apprentissage théorique étayé par une solide expérience de terrain à des époques difficiles où tout encore manquait. Economie de Moyens qui résonne avec un écho singulier, aujourd’hui encore où tout risque de manquer. De ce parcours entre deux univers, celui des métalliers qui plient, qui boulonnent et qui soudent, et celui des charpentiers qui scient qui taillent et qui clouent, il s’est naturellement intéressé au lamellé collé, bois, colle et ferrures dont il a fut un des promoteurs et dont il a développé les performances techniques au-delà de ce qui était alors connu.


Précurseur. Curieux. Ouvert. Architecte et Ingénieur. 

Un constructeur au sens noble du terme. Son esprit nous habite.




Eric Richard, architecte, 
avec la relecture bienveillante de Marc Malinowski.


Lisez la suite de cet article dans : N° 140 - Avril 2023

Les articles récents dans Points de vue

MATIÈRE I RÉPARER POUR SOIGNER Publié le 12/12/2024

Si concevoir des espaces au service du bien-être des hommes est la grande mission de l’architecte… [...]

POINT DE VUE I LE CARE INVISIBLE DES FEMMES Publié le 12/12/2024

On pense très rapidement aux sages-femmes lorsque l’on évoque les métiers du soin et du lien… [...]

PRÉCURSEUR I THEY TRIED TO MAKE ME GO TO REHAB Publié le 12/12/2024

Le projet Rehab (centre de désintoxication), conçu en 1998 par l’agence, ne devait expressément… [...]

PRÉCURSEUR I THEY TRIED TO MAKE ME GO TO REHAB Publié le 12/12/2024

Le projet Rehab (centre de désintoxication), conçu en 1998 par l’agence, ne devait expressément… [...]

BIOPHILIE ET SANTÉ : RACINES SCIENTIFIQUES OU MIRAGE ? Publié le 12/12/2024

Lorsque l’on fouille la littérature scientifique qui se penche sur le sujet du bois et de la… [...]

QUALITÉ DE L’AIR : LE COMBAT INVISIBLE Publié le 12/12/2024

L'air intérieur est 5 à 10 fois plus pollué que l'air extérieur. Or, si la perception de… [...]