Les lauréates du Pritzker font flèche de tout bois

Rédigé par Sarah ADOR
Publié le 08/04/2020

Mises en lumière en 2018 par le commissariat de la 16e Biennale d’architecture de Venise, les irlandaises Yvonne Farrell et Shelley McNamara, qui co-dirigent l’agence Grafton Architects depuis sa création en 1978, ont été récompensées par le prestigieux prix Pritzker 2020 il y a maintenant près d’un mois. Connues pour leurs généreux volumes mais aussi pour un langage empruntant au brutalisme, elles étaient jusque-là plutôt adeptes d’une architecture minérale et massive. Et pourtant, tout peut arriver en cette nouvelle décennie : les deux architectes viennent de remporter le concours de la Fay Jones School of Architecture and Design de l’Université d’Arkansas pour un bâtiment entièrement en bois : le Anthony Timberlands Center for Design and Materials Innovation, à Fayetteville (USA).

Plus que cela, future importante extension de l’école et pièce majeure du Wingate Art & Design District (le nouveau campus au sud de la ville), le lieu se destine à devenir l’épicentre des initiatives de conception bois en Arkansas, notamment avec la création d’un centre de recherche appliquée composé de laboratoires technologiques. Il se devra donc d’arborer une vocation démonstrative et didactique par rapport au potentiel structurel du bois. 

Organisé en 2016, un symposium avait jeté les bases du concours en réunissant architectes, professeurs et chercheurs pour discuter de l’avenir de la construction bois en Arkansas, dont le couvert forestier constitue 57% de la surface du territoire. Majoritairement financé par une subvention du service forestier américain (U.S. Forest Service) et de la dotation américaine pour la foresterie et les communautés (U.S. Endowment for Forestry and Communities), par le biais du programme de subvention universitaire Mass Timber University Grant Program, le concours préconisait ainsi l’inscription du projet dans une démarche de valorisation des ressources forestières régionales.

Choisies parmi 68 autres agences, les irlandaises étaient notamment en compétition avec cinq autres finalistes dont Waugh Thistleton Architects (publiés dans le numéro 122 de Séquences Bois), Dorte Mandrup (publiés dans le numéro 118 de Séquences Bois), et Shigeru Ban Architects, qui se devaient d’avoir fait preuve d’une « excellence à échelle nationale et internationale, et d’une capacité à innover avec des matériaux et dans la construction de manière générale ». Avec de nombreux importants bâtiments scolaires à son actif, dans plusieurs pays du monde, Grafton Architectes figurait en bonne place.

Pour défendre le projet durant la dernière phase de la compétition, lors d’une conférence à la Fay Jones School en février, Yvonne Farrell a tenu à rappeler la dimension située de l’approche de Grafton. Pour les deux architectes, la première analyse à mener pour commencer un projet, notamment lorsqu’il se situe à l’étranger, consiste à étudier le climat local, savoir avec quelles données naturelles l’architecture devra composer. Selon elles, en Arkansas, les édifices doivent composer avec la pluie. En architecture, cela se traduit par la conception soignée d’une toiture, qu’Yvonne Farrell invite à appréhender comme « une membrane entre ciel et terre ». Parallèlement nourries d’images d’archives, les architectes ont aussi trouvé une certaine inspiration dans les étonnantes formes cumulatives des bâtiments agricoles régionaux, construits au fil du temps et des besoins. C’est ainsi qu’est né le « cascading roof » du Anthony Timberlands Center, dont la forme n’est ni gratuite ni sculpturale. L’intention conceptuelle, qui crée non seulement d‘impressionnants volumes, est en réalité déclinée pour plusieurs fonctions. Tout d’abord, par cette forme, le bâtiment répond à des critères de conception bioclimatique : côté sud une grande façade ouverte, et côté nord une immense toiture composée d’une juxtaposition descendante de sheds, qui captent la lumière stable et le rayonnement solaire diffus du nord. En collaboration avec l’ingénieur environnemental Ivan Jovanovic (Atelier Ten), elles ont développé sur cette base les questions de ventilation naturelle, de gestion de l’air chaud et de protection solaire. Par ailleurs, la triangulation est d’intérêt structurel, elle assure une stabilité de manière simple, au moyen de fermes ordinaires. En outre, si le projet met en scène et magnifie la chute de l’eau, il le fait jusque dans les détails : dans chaque pli, une poutre en lamellé-collé « en canoë » collecte et dirige l’eau selon une pente transversale. 

Par ailleurs, il s’agissait à la fois pour les commanditaires comme pour les architectes de prendre le projet comme un sujet de recherche : comment composer avec les ressources locales ? Pour Yvonne Farrell et Shelley McNamara, charmées par le paysage de cette région, ce projet à destination pédagogique ne doit « pas seulement être un bâtiment mais une encyclopédie des magnifiques essences d’arbres qu’il y a sur ce territoire ». Avec l’aide de l’ingénieur structure Mark Whitby, connu pour son travail avec Eric Parry, David Chipperfield ou plus récemment avec Herzog et De Meuron pour l’extension du Tate Modern, les architectes s’essayent dans ce projet à « libérer la beauté, la force, la capacité structurelle du bois à l’intérieur du bâtiment », qui est conçu comme un panorama des divers usages potentiels des bois locaux, de divers degrés de transformation, et de types de structures. La toiture en bardeaux repose ainsi sur des fermes simples en résineux, supportées par les poutres canoës transversales précédemment évoquées, fabriquées dans du hickory en partie basse, et dans du frêne en partie haute, elles-mêmes posées sur d’immenses et larges poteaux en chêne blanc lamellé-collé. Dans l’auditorium, la nécessité d'une grande portée induit l'usage de fermes à deux poinçons (appelée « Queen Post Trusses » chez les anglophones), réalisées en chêne blanc. Pour les architectes, il s'agit d'incarner les forêts locales dans l'architecture. Ou, pour le dire avec les mots d'Yvonne Farrell, d’« incorporer dans un répertoire physique » les capacités structurelles, les odeurs, les textures des arbres des forêts environnantes... Car si les deux architectes sont ordinairement plus accoutumées aux matériaux minéraux, elles ne sont pas tombées dans l’écueil de «  faire un projet béton et de le changer en bois juste parce qu’on est en Arkansas » mais ont cherché à « s’intégrer à l’histoire du bois et de la construction en bois et à l’amener au XXIème siècle ». 

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