POINT DE VUE - L’inertie en plancher, apporter de la masse sous nos pieds

Rédigé par Anne-Sophie GOUYEN
Publié le 01/09/2022

Article paru dans Séquences Bois n°136

Si les chapes semblent s’être généralisées sous nos pieds pour satisfaire les exigences acoustiques en structure bois, elles ne sont pas la seule solution envisageable lorsque l’on désire se passer de béton, pour des raisons d’économie de carbone ou pour rester en filière sèche. Combinée avec une membrane acoustique, cette masse contribue à l’alternance « masseressort- masse » et permet à la fois l’absorption et la résilience des vibrations, mais cet apport de masse peut s’effectuer par d’autres alternatives. 

En effet, « à partir d'une solution constructive en bois se voulant vertueuse d'un point de vue environnemental, les complexes de plancher se traduisent souvent par un mille-feuille épais (encombrement), lourd et comportant 10 à 12 cm d'épaisseur de béton en plus de la structure bois, pour atteindre tout au plus les performances acoustiques et structurelles d'une simple dalle béton-armée d'épaisseur 20 cm, revêtue d'un résilient acoustique mince. La pertinence technique et environnementale de tels complexes de plancher doit être interrogée et d'autres solutions techniques recherchées », explique l’agence a+ Samuel Delmas. Pour ce faire, en France on utilise principalement des solutions de chapes sèches, associées parfois à du gravier maintenu en place par des structures en nid d’abeille en carton : « une solution qui commence à être bien maitrisée pour du plancher CLT notamment pour du logement », indique Thomas Toulemonde. C’est le système choisi pour l'hôtel Jo&Joe à Gentilly par les architectes Viguier et le bureau d’acoustique Aïda. Le plancher est composé, du haut vers le bas, d’un revêtement de sol, de plaques de sol Fermacell, de laine de bois, d’une couche de graviers disposée dans un nid d'abeille, et enfin du plancher CLT. « Une précision acoustique importante », note Karyn Le Tyrant, fondatrice et dirigeante d'Aïda, « les panneaux de CLT ne sont pas continus entre chambres - ils sont interrompus au droit de chaque séparatif - afin de contrôler la transmission latérale en sous face de panneau CLT ». Mais pour a+ Samuel Delmas, « ce système qui a fait preuve de son efficacité et de sa pertinence, nous semble encore imparfait, car il implique l'emploi de granules d'égalisation et de lestage industrialisés (pierre à chaux concassée), induisant de l'énergie grise pour sa fabrication et son transport. Un tel déploiement d'énergie pour un matériau avec une aussi faible valeur ajoutée, nous semble disproportionné ». Dans un contexte où le réemploi a toute sa pertinence, on pourrait alors imaginer des solutions en béton concassé, si tant est que l’on sache concasser les granulats de manière assez fine. « On est encore en train de travailler sur cela, notamment à Adivbois parce qu’on sait que la chape acoustique béton c’est bien de s’en passer quand on y arrive », affirme Thomas Toulemonde. « Il existe différentes expérimentations : pour les planchers à solivage, en Belgique notamment, ils utilisent du sable pour leste », souligne-t-il. Mais c’est bien en France que ce procédé vient d’être expérimenté par a+ Samuel Delmas : « à notre sens, la réalisation de ces lestages au moyen de granulats minéraux de provenance locale, prélevés à proximité de chaque chantier, réalisés en sable issu du recyclage des bétons de démolition, nous semble pouvoir assurer la même fonction technique avec un impact environnemental et un coût, bien moindres que l'emploi de granulas standardisés de fabrication industrielle ». C'est la solution qu'ils ont employée pour le groupe scolaire de Châtenay-Malabry, en cours de construction. Malheureusement, les essais acoustiques ne sont valables et certifiés que si le produit utilisé est industriel. L'emploi de granulats de lestage et ravoirage locaux, provenant de terre crue tamisée ou de sables recyclés directement sur chantier, nécessite donc encore de réaliser des essais acoustiques de laboratoire. Ils seront réalisés courant septembre au CSTB dans le cadre du projet LoB+HiE, mené avec l'Ademe. Une dernière alternative, lorsque l’on cherche à apporter de la masse géo-sourcée locale, se révèle être la terre crue. Il s’agit un procédé expérimenté par Anatomies d’architecture au Costil, un projet de rénovation d’une longère, qui a fait l’objet, avant le commencement du chantier, de deux ans d’étude pour identifier les savoir-faire et les ressources disponibles dans un rayon de 150 km autour du site. Ces recherches leur permettent alors, dans une région dotée d’un vaste patrimoine à réhabiliter, de rassembler les compétences locales autour d’un même projet fédérateur et font la démonstration d’une nouvelle façon d’exercer. Les jeunes architectes, intransigeants sur les matériaux utilisés, ne veulent faire aucun compromis, « quitte à sortir du cadre règlementaire pour réduire les émissions carbones ». C’est cette détermination qui les a amenés à la fabrication de quenouilles en terre crue et paille locale. « Nous hésitions avec des torches de chanvre mélangées avec de la barbotine argileuse. Mais nous avons finalement réalisé, en une semaine, les 25 m2 de plancher avec 650 quenouilles de 34 cm avec l'aide d’un formateur et d’une quinzaine de bénévoles », explique Mathis Rager, architecte. Visibles dans certains planchers de greniers anciens, les quenouilles sont un mélange de terre locale et de foin d’agriculture enroulées autour de bâtons de bois vert, afin de former des cylindres courts, qui formeront le sol en séchant (compter trois semaines à un mois) serrés sur le solivage. La finition doit respecter le transfert d’humidité, avec des matériaux perspirants : en sous-face elles sont généralement recouvertes d’un enduit terre et on peut imaginer les recouvrir d’un parquet bois, d’une chape de chaux, de plâtre, ou d’un carrelage en terre cuite. Seuls des matériaux bruts et locaux sont donc nécessaires, à faible coût et très peu énergivores. Il s’agit d’une technique qui nécessite tout de même, comme tous les sols en terre, une importante main d’oeuvre : une alternative qui, dans le contexte économique actuel, semble plus adaptée à de l’autoconstruction, mais que l’on pourrait tout à fait imaginer se démocratiser si l’on venait à changer de paradigme. Pour le moment « aucun test acoustique n'a été réalisé », précise Mathis Rager, mais « les habitants s'installent cet été dans la maison, nous pourrons compter sur leur retour d'expérience à l'utilisation ». Pour les alternatives au béton, il nous faudra donc encore faire preuve de patience et de persévérance, inspirés par ces concepteurs qui initient ces évolutions. ASG

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