Replacer les arbres et forêts locales au cœur de la construction bois

Rédigé par Iris Andreadis, Théo Imberty, Lucien Kammermann, Adel Mohamedi -
Publié le 19/01/2022

Article paru dans Séquences Bois n°134

Née à l’école d’architecture de Paris-Belleville, l’association Altiplano explore l’idée que les forêts et le bois de la métropole francilienne seraient des richesses à cultiver pour imaginer de nouvelles perspectives constructives et politiques. La proposition, qui a fait l’objet du mémoire et du projet de fin d’études1 de ces jeunes architectes, a récemment été élue lauréate de l’appel à projets FAIRE 2021, porté par le Pavillon de l’Arsenal et la ville de Paris.

La construction bois est aujourd’hui en plein essor, bénéficiant aussi bien des avancées techniques de l'ingénierie, qu’elle se trouve exaltée par des éléments de langage qui en font la caution écologique d’un système de transformation fortement industrialisé. Le marché mondial de la construction s’est très largement tourné vers les essences résineuses en raison de leur rapidité de croissance, leur rectitude et facilité d’usinage. Les matériaux dérivés du bois, annexés sur les standards de la construction en acier ou béton, sont progressivement devenus hégémoniques. Ils sont aujourd'hui symptomatiques d’un modèle de sylviculture productiviste qui dégrade fortement les écosystèmes forestiers français. Cette situation, où sont dissociés les modes de sylviculture, les usages, avec l’architecture, favorise la dévalorisation de toute une culture constructive qui reliait l’acte de cultiver la forêt, avec l’acte de bâtir. 

L’objet de ce travail a été de révéler, au travers d’une enquête transversale, les implications politiques, environnementales et économiques de la filière forêt-bois jusque dans ses ramifications les plus fines. En d’autres termes, de parcourir toute la succession d’étapes allant de l’amont, c'est-à-dire du métabolisme et de la culture de l’arbre, jusqu’aux débouchés pour la construction, l’énergie et l’industrie.

Cette enquête a révélé plusieurs paradoxes, tels que la difficile intégration des essences feuillues comme bois d'œuvre au sein des filières franciliennes (et nationales) alors qu’elles sont pourtant largement abondantes (+ de 87% en IDF). Mais c’est aussi l’inquiétante fuite des bois, parfois à des milliers de kilomètres de leur lieu d'abattage, associée à une importation massive de bois étrangers qui interrogent la prétendue valeur écologique de ce matériau. 

Une série de principes constructifs a ainsi été explorée afin de favoriser l'intégration de mises en œuvre vertueuses ou économiques qui permettrait d’inverser l'actuel rapport de force entre feuillus et résineux et de valoriser les peuplements locaux en Ile de France.

La construction est le principal moyen de renouer avec une culture constructive liée à la forêt et à ses formes. Il s’agit pour cela d’entretenir une meilleure connaissance des potentiels et des propriétés singulières de chaque essence afin de s’affranchir de traitements et de matériaux auxiliaires. Il est ainsi possible d’utiliser des pieux de robinier en fondation pour l’imputrescibilité de son bois, et valoriser les cultures en taillis de châtaignier, pour réaliser des bardages et couvertures.

Dans le même temps, il est primordial d’adopter une meilleure lecture des procédés et de la chaîne de transformation de l’arbre.

Bien que culturellement connoté comme une écriture constructive rustique, l’emploi de bois pas ou peu transformé s’avère particulièrement pertinent en termes de résistance, de coût et d’énergie grise économisée. Court-circuiter les longues et coûteuses étapes de séchage des feuillus - bien plus longues que celles des résineux - permettrait d’amortir les coûts : le chêne, par exemple, sera négocié 2,5 fois moins cher s’il est vert.

A cet égard, se saisir de la construction en bois vert, à l’instar de la construction en bois rond, permettrait d’opérer un déplacement de tout un ensemble de pratiques allant du sciage jusqu’aux assemblages et à la matérialité d’une architecture. Car, si les normes européennes obligent aujourd’hui d’observer des taux précis d’humidité des bois employés, construire avec du bois vert ou ressuyé était pourtant monnaie courante au Moyen Âge. Il faut alors convoquer un savoir-faire ancien qui a prouvé son efficacité, et prendre les dispositions constructives adéquates pour anticiper le retrait tangentiel et prévoir le fluage du bois, quitte à mobiliser des modes de transformation de l’arbre hérité de ces temps. 

Aujourd’hui, la compréhension globale de ces enjeux par les architectes doit s’accompagner de la formulation d’une expression esthétique et constructive du bois revitalisée. Nécessitant un effort d’innovation privilégiant une meilleure adéquation entre les réalités de la condition forestière et les systèmes constructifs mis en œuvre, il semble également nécessaire d’encourager l’adaptation de l’appareil normatif en intégrant d’autres critères comme la localité ou le niveau d’affinage des bois. Il est certain qu’aujourd’hui, une réflexion réellement critique et constructive sur la filière ne peut se départir d’une considération sur la condition écologique, politique et matérielle des paysages forestiers.

1. Sous la direction de Béatrice Jullien, Emilien Robin et Françoise Fromonot

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